Le Moyen âge
à travers la littérature locale
4ème épisode :
Pierre-Georges Duhamel pour « Jean de Berry »
Julien Molard pour « Vers l’unité de la France »
Jacques Faugeras pour « Perrinet Gressart »
Pierre Braud pour « l’imagier du duc de Berry »
Débat animé par Jean-Baptiste Luron pour « RCF en Berry » également diffusé sur « Terroir du Cher ».
La première reconquête
JLB : Dans le Cher, Pierre-Georges Duhamel, dans le Berry plus exactement pour nous situer dans le contexte de date, on était à une période de relative prospérité. Il y avait encore les filatures à Bourges. Comment se fait-il qu'un siècle plus tard se soit amorcé un déclin ?
PGD : Le déclin est venu effectivement un peu plus tard. Il est évident que le Berry, en tant que province, n'a pas été le plus menacé pour la bonne raison que Jean de Berry y avait installé sa famille pour protéger le Berry de façon intensive. Le Berry a plutôt moins souffert que d'autres provinces à cette époque-là. En fait, le déclin dont vous parlez est venu au moment du règne de Louis XI.
JBL : Charles VIII ?
PGD : Non, je dis Louis XI. Et ce parce que Louis XI qui était reconnaissant à la ville de Bourges et au Berry de l'avoir vu naître a été bien disposé à cet égard. Et il a créé une université à Bourges. Et il a autorisé tous les échevins à intégrer la noblesse. Celui qui avait été maire de Bourges devenait noble automatiquement. Beaucoup de maires de Bourges, qui sortaient de familles de tapissiers et de drapiers, qui faisaient la fortune de Bourges, se sont précipités sur la noblesse. Ce qui leur interdisait de continuer à pratiquer la tapisserie. Et, je crois, et ce n'est pas qu'une impression personnelle, puisque d'autres ont avancé la même chose, le déclin de Bourges a commencé avec cet abandon de l'artisanat de la tapisserie par la population de Bourges.
JBL : Donc, l'interdiction à la noblesse d'exercer métier hors les armes, le fer et le verre, a été un problème économique par la suite pour la France ?
PGD : Pour le Berry, en tous cas ! Dans bien des endroits, il y a eu des relais importants qui ont justement amené le déclin de la noblesse au profit de l'élévation de la bourgeoisie. Et dans le Berry, il semble que cela a été un déclin tout pur de l'industrie drapière qui a longtemps été l'industrie principale de notre province.
JBL : Pierre Braud, notre petit peuple, quelle était son ambition ?
PB : Elle était avant tout de vivre heureux, paisible, d'avoir le nécessaire vital. Et puis, il y avait le souci de faire prospérer la famille. Il n'y avait pas de problème d'ambition, d'avancement dans la société.
JBL : Chaque peuple a sa culture, fut-elle embryonnaire. Celle-ci était encadrée par la religion.
PB : Oui. Du fait que ce petit peuple était souvent dans la mouvance des abbayes, il était visité par les moines qui lui apportaient à la fois la bonne parole et à la fois le nécessaire pour subvenir aux besoins vitaux en cas de difficultés. Dans cette étude qui a été faite sur cette période sinistre des grandes compagnies et des campagnes du Prince Noir, les frères de l'abbaye de Vierzon arrivaient avec du blé et avec du vin pour nourrir les populations. Il est certain que la religion avait un rôle très important et que la philosophie de tous ces gens-là était basée sur deux fondements que "Dieu y pourvoira" et "nous acceptons nos difficultés pour gagner le paradis". Et cela leur était également apporté par ce clergé qui gravitait autour d'eux.
JBL : Au travers de vos propos, on constate l'omniprésence de la guerre. Julien Molard, et la politique dans tout cela ?
JM : La politique, au sens où on l'entend aujourd'hui, ce n'est pas tout à fait le sens du Moyen-âge. Effectivement, ce qui est intéressant chez Alain Chartier, c'est que l'on a pour la première fois, un texte qui se veut politique au sens moderne du terme. Alain Chartier était secrétaire notaire du roi, très proche du roi puis qu'il signait les lettres patentes et les lettres closes. Il suivait le roi partout. On le voit à Mehun, à Faux-sur-Yonne, à Poitiers, à Bourges avec le roi. Pour la première fois, un texte politique est rédigé par un proche du roi. On peut donc dire que c'est l'émergence de la politique, même dans la poésie puisque Alain Chartier faisait de la poésie jusqu'en 1422.
JBL : On a un fonctionnaire royal, si le terme peut être employé, qui a fait un choix politique en faveur du dauphin. Mais les chefs de guerres qu'est-ce qui motivait leurs choix ?
JF : Tout d'abord leur intérêt personnel. L'idée de patrie n'était pas développée comme elle le fut par la suite. On n'était alors qu'à la fin du régime féodal. Les grands barons du royaume avaient des intérêts qui ne correspondaient pas à ceux du pays. C'est-à-dire à ceux de la monarchie française.
JM : J'aimerais revenir sur Perrinet Gressart et son choix par intérêt. Et opposer ce choix à celui d'Alain Chartier. Celui-ci est né à Bayeux, donc il est normand d'origine, donc il devrait être du parti anglais. Il est en plus maître à l'université de Paris. Et il choisit en mai 1418 de suivre Tanneguy du Chastel et le futur dauphin. Ceci est très surprenant. On comprend que le Dauphin, on pense que c'est lui qui lui a demandé, lui ait demandé en 1422, d'écrire le quadrilogue Invectif.
JBL : Nous avons évoqué le parti pris par les nobles en fonction de leurs intérêts. Venons-en à cette idée de nation. On a longtemps situé l'émergence de cette idée par l'action de Jeanne d'Arc. Peut-on en rester là ou est-ce qu'auparavant, il y avait déjà eu des prémices ?
JM : On ne peut pas dire avec Jeanne d'Arc, émergence du sentiment national. Je crois qu'on peut situer avant. Il y a toute une mouvance déjà en 1360. Il y a déjà un sursaut quand Jean le Bon était prisonnier en Angleterre. C'est là que le Franc va être instauré pour délivrer le roi. Et on peut dire que dans toute la France il y a une volonté de délivrer le roi et de le ramener en France. Donc, déjà une émergence de l'idée de patrie par ce fait. Et je considère que pendant quatre-vingts ans, on va avoir par moments des élans de sentiment national sans que l'on puisse dire que c'est celui que l'on conçoit maintenant.
PGD : Il est vrai, tout le monde l'a dit, que l'on n'a pas attendu 1435 pour que la notion de nation émerge. Avant 1435, il y a eu au moins Jeanne d'Arc, c'est évident. Mais bien avant cela, c'est-à-dire, si l'on reprend l'affaire à la source, mettons 1356, la bataille de Poitiers et l'emprisonnement du roi de France, l'argent à payer, quatre millions de Francs, non pas de francs à l'époque puisqu'il viendra peu de temps après, quatre millions de livres qui représentent les revenus du royaume pour plusieurs années. C'est quelque chose de fabuleux. Il y a en plus un chapelet de province autour du sud-ouest qui vont passer au roi d'Angleterre. C'est la ruine de tout le royaume. A ce moment-là, il y a déjà une réaction. Il faut dire que les premiers à symboliser déjà la réaction, ce seront les fils de France. Ce sera Charles V qui va prendre la reconquête du royaume en main avec ses trois frères. Avec Louis d'Anjou, avec Jean de Berry et avec Philippe de Bourgogne. Et avec ses fameux militaires qui à ce moment-là sont Bertrand du Guesclin et déjà Sancerre.
JF : Il était déjà Maréchal de France.
PGD : Bien sûr. Il y avait aussi le duc de Bourbon, Louis II de Bourbon, qui lui, fait partie de la famille de France et qui, lui est un militaire de profession. Tous ces gens-là vont s'atteler au travail et vont reconquérir une bonne partie des terrains perdus, des provinces perdues au traité de Brétigny. Vous avez Louis d'Anjou dont j'ai parlé avec beaucoup de hargne mais qui se conduit à ce moment-là en bon militaire et qui va quand même reconquérir une bonne partie de la Guyenne. Vous avez Jean de Berry, qui, derrière Clisson, derrière du Guesclin et les quelques militaires, est bien présent et qui les suit à deux ou trois jours sur les champs de bataille, et qui va reconquérir tout le Poitou, tout le Limousin, l'Aunis et la Saintonge : quatre ou cinq provinces. On aboutira en 1374. Et à ce moment-là, comme le roi de France lui a promis qu'il allait être le bénéficiaire de ce qu'il allait reconquérir, Jean de Berry se retrouve à être à la tête d'un tiers du royaume. Ca ne durera pas parce qu'à ce moment-là, Charles V réalise qu'il lui a trop donné. Il lui enlève l'Aunis et la Saintonge. Je veux dire qu'au départ, entre la période 1368, à peu près, et jusqu'à la fin du règne du roi Charles V, il y a un élan de guerre et d'effort qui n'est pas contesté et même par le peuple. Le peuple commencera à en avoir assez avez 1380. Mais pendant dix ans, il y aura une sorte d'unité, nationale, le mot est difficile à employer, mais une unité du pays pour reprendre ce qui avait été perdu. Et ça continuera après, mais d'une façon différente en ce sens qu'il y aura la fameuse querelle entre les Armagnacs et les Bourguignons qui mettra tout le pays en véritable guerre civile. Et là, on trouvera au contraire le désastre.
Commentaires
Voilà des échanges très intéressants! Dire que PG Duhamel a été mon voisin pendant des années, et que je ne l'ai rencontré qu'une fois. Quel dommage!
C'est vrai que, le peu de fois où je l'ai rencontré, j'ai beaucoup appris. Et puis, il y a la qualité morale de l'homme.