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Les légendes en Sancerrois

Que doit faire quelqu'un qui s'intéresse à l'histoire lorsqu'il tombe sur des légendes populaires ?

On peut se souvenir du propos de Jean-François Deniau : "Une légende, étymologiquement, c'est ce qui doit être lu". La lecture, oui, une obligation pour tout curieux. Mais l'homme sage doit aussi savoir l'interpréter. 

Ainsi, lorsque je travaillais le parler local, de nombreuses fois, on m'a posé la question : "Est-ce que le Berrichon roule les "r" ?". Ce fut le cas lors d'une émission télévisée sur les cours. Et j'ai répondu : "Non, d'une manière générale, on a tendance à adoucir la prononciation. Ainsi, on ne dit pas "un arrrbrrre" mais plutôt "une ôbe". Un peu comme le "o" de door en anglais. D'ailleurs, il y a des phonèmes communs avec cette langue." Un membre de groupe folklorique est venu me voir après l'enregistrement et m'a dit : "Tu ne devrais pas dire cela, parce que nous, pour nos spectacles, on a tendance à forcer le trait." Alors pourquoi cette légende a construit une règle folklorique ? Réfléchissons : Où et en quelles circonstances a-t-on tendance à forcer l'accent ? Dans les cafés, surtout en fin de foire lorsque les bonnes ventes ont été signées du cachet qui scelle tout, la tournée. Et qui n'a pas entendu, en ces circonstances, un austère paysan ou marchand devenir un homme au verbe fort dont les syllabes sont fortement marquées. Et imprégnées aussi. Ainsi, une légende a ses fondements. Encore faut-il savoir l'interpréter.

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Bien d'autres exemples de petites anecdotes sont devenues légendes voire règles. J'ai en souvenir un prêtre qui, à des vêpres, prêchait sur les noces de Cana. Et, devant un public de vignerons sancerrois, il a affirmé : "Jésus a transformé l'eau en Sancerre. Qui peut me prouver le contraire ?" Inutile de dire que la sortie a eu son succès. Et si j'ai cette anecdote en tête, c'est que, tout récemment, lors de la conférence d'une archéologue en Sancerrois, un vigneron, la suffisance liée à son assise professionnelle, s'est levé et a interpelé la docte personne en lui affirmant que "Pline l'ancien avait dit que le sauvignon était originaire du Sancerrois." Inutile de préciser que la conférencière n'a pas manqué de le remettre à sa place. Ce qui a vexé le docte personnage... en matière de commerce de vin. Alors comment une telle légende a-t-elle pu naître ? C'est simple. Parmi les élèves de Cuvier, un Berrichon, Stéphane Ajasson de Grandsagne. Et ce dernier a participé à une traduction de "l'histoire naturelle" de Pline l'ancien. Cet érudit a comme autre titre de gloire d'avoir été l'un des nombreux amants de George Sand. On comprend mieux dès lors comment a pu venir l'idée que le sauvignon avait été désigné par Pline comme un cépage berrichon selon Pline l'Ancien.

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Il est vrai que nos producteurs - surtout agricoles - basent la qualité de leurs produits sur la tradition alors que la logique voudrait qu'ils mettent en avant le progrès technologique fait dans la domaine gustatif. Nous en sommes encore à valoriser la sueur quand la mécanique peut remplacer l'homme. Le but n'étant pas les moyens mais le résultat. Mais cette phrase n'est pas encore la devise des secteurs primaire et secondaire. Donc le seul critère de l'ancienneté de la méthode ou du produit fait foi. On sollicite donc l'histoire pour prouver sa qualité ou on vieillit la méthode. Résultat, en Auvergne, en Bourbonnais ou en Berry, on nous présente des plats aux pommes de terre comme traditionnels alors que celle-ci n'est arrivée que dans la deuxième moitié du XIXe. Ce, alors que la vie a, à ce moment-là, commencé à effectuer une profonde transformation.

 Si l'anodin vient d'être décrit ici, la mauvaise utilisation de la légende peut aussi être un soutien à un pouvoir. Et, dès lors, participer à pervertir la démocratie.

Lorsque, en 1995, j'ai effectué un reportage au parlement européen, j'avais été invité par un député villiériste de l'Indre au moment du vote de la loi OCM viti-vinicole. C'était alors l'Europe des quinze. Le rapporteur, italien, avait privilégié les quotas de production. Par une bataille d'amendements menée, entre autres, par un député vigneron champenois, ce sont les quotas de marché qui avaient été choisis. Et les appellations inscrites dans la loi. C'est ce que j'en avais compris. Et que j'avais écrit dans mon article le soir dans ma chambre. Au retour, je m'étais arrêté en Champagne pour une visite. En avance, j'ai acheté l'Union et constaté que le journaliste avait eu la même réaction que moi. De retour en Sancerrois, je contacte le président des vignerons sancerrois et propose la documentation récoltée sur la loi, un carton de feuilles A4. "Pas la peine, on connaît tout ça." A peine deux mois plus tard, l'inauguration de la Foire aux Vins, aux caves de la Mignonne. Dans les journaux qui suivent, la relation des discours montrent un tollé général sur cette loi devenue une création des fonctionnaires de Bruxelles !

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Centre vitivinicole financé par l’UE en Bulgarie (Sliven) (photo wikipedia)

Le pire, c'est que lorsque l'Europe s'est agrandie, des pays ont demandé et obtenu un réexamen de la même loi. Evidemment, même position des dirigeants viticoles sancerrois. Ils n'ont pas su anticiper sur la nouvelle loi par des lobbyings et se sont retrouvés dans la position des contestataires. Et ont poussé le ridicule jusqu'à se faire accompagner dans leur action par un député dont des proches ont voté la loi. On voit que la légende créée par des dirigeants politiques a des conséquences graves sur l'équilibre de nos institutions : plutôt que d'expliquer le bien-fondé d'une loi, la manière de s'y adapter, ceux-ci préfèrent hurler avec les loups. Quitte à mettre en danger la belle institution qu'est l'Europe.

Superficie plantée en vigne dans l’UE (en ha) :
État membre Superficie totale plantée
Drapeau de l'Allemagne Allemagne (DE) 102 432
Drapeau de l'Autriche Autriche (AT) 50 681
Drapeau de la Bulgarie Bulgarie (BG) 135 760
Drapeau de Chypre Chypre (CY) 15 023
Drapeau de l'Espagne Espagne (ES) 1 099 765
Drapeau de la France France (FR) 879 859
Drapeau de la Grèce Grèce (EL) 69 907
Drapeau de la Hongrie Hongrie (HU) 85 260
Drapeau de l'Italie Italie (IT) 730 439
Drapeau du Luxembourg Luxembourg (LU) 1 299
Drapeau de Malte Malte (MT) 910
Drapeau du Portugal Portugal (PT) 238 831
Drapeau de la Roumanie Roumanie (RO) 178 101
Drapeau de la Slovaquie Slovaquie (SK) 21 531
Drapeau de la Slovénie Slovénie (SL) 16 704
Drapeau de la République tchèque République tchèque (CZ) 19 081

Dans le même secteur, plus récemment, les cinquante ans de la cave coopérative de Sancerre. Une plaquette pour commémorer cet événement. Une plaquette à la gloire d'un dirigeant viticole qui n'a pas participé à sa fondation. Quant au réel initiateur, Robert Lauverjat, pas un mot. Pourquoi ? Trop à gauche ? Mais il faut dire que le rédacteur est un spécialiste de l'hagiographie caviardée. Conscient ou plutôt inconscient de ses carences, faute de moyen pour s'en rendre compte, il devient tout rouge lorsqu'on conteste son autocratie intellectuelle. Ainsi, ses expositions passent sous silence des pans entiers de l'histoire locale : la lutte laïque autour du phylloxera, pourtant bien présente si on s'en réfère à l'important travail de Marie-José Garniche, a été occultée (le curé de Bué, en chaire, interpelé par le maire du village : "Citoyen Thomasset..."). Son exposition sur les caves n'a pas eu plus de chance. Il a loupé les plus belles et les plus anciennes du Sancerrois, se contentant d'en faire le moyen d'ensiler les betteraves. Mais il est vrai qu'une enquête sérieuse l'aurait amené à conclure que certains villages ne sont vraiment vignerons que depuis la dernière guerre. Et cela aurait déplu.

Le résultat d'une telle attitude, c'est qu'une association qui devrait avoir, selon sa dénomination, des ambitions scientifiques rigoureuses est devenue un groupe historiographique folklorique. On l'a lu dans l'article paru dans la dernière "Voix du Sancerrois" du mois de juin.

Commentaires

  • Savoureux, ce billet!

    Votre tableau a omis le Royaume-Uni (enfin, bientôt désuni...), dont les coteaux exposés au Sud sont lentement recolonisés par la vigne, réchauffement climatique oblige...

  • Vous avez raison, un peu plus de 1400 hectares, le vignoble anglais aurait mérité de figurer dans le tableau wikipedia.

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